21
" Le juge d'instance est l'équivalent pour la justice du médecin de quartier. Loyers impayés, expulsions, saisies sur salaire, tutelle des personnes handicapées ou vieillissantes, litiges portant sur des sommes inférieures à 10 000 euros - au-dessus, cela relève du tribunal de grande instance, qui occupe la partie noble du Palais de justice. Pour qui a fréquenté les assises ou même la correctionnelle, le moins qu'on puisse dire est que l'instance offre un spectacle ingrat. Tout y est petit, les torts, les réparations, les enjeux. La misère est bien là, mais elle n'a pas tourné à la délinquance. On patauge dans la glu du quotidien, on a affaire à des gens qui se débattent dans des difficultés à la fois médiocres et insurmontables, et le plus souvent on n'a même pas affaire à eux car ils ne viennent pas à l'audience, ni leur avocat parce qu'ils n'ont pas d'avocat, alors on se contente de leur envoyer la décision de justice par lettre recommandée, qu'une fois sur deux ils n'oseront pas aller chercher. (p.175) "
― Emmanuel Carrère , Lives Other than My Own: A Memoir
22
" Ce Baudot, un des inspirateurs dans les années soixante-dix du Syndicat de la Magistrature, avait été sanctionné par le garde des Sceaux, à l'époque Jean Lecanuet, pour avoir tenu à de jeunes juges ce discours : "Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre qui ne pèsent pas le même poids, faites-la pencher plus fort d'un côté. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre l'homme, pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour l'écrasé contre la compagnie d'assurances de l'écraseur, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. La loi s'interprète, elle dira ce que vous voulez qu'elle dise. Entre le voleur et le volé, n'ayez pas peur de punir le volé. "
― Emmanuel Carrère , Lives Other than My Own: A Memoir
25
" La dame de la Cour de cassation, c'est un arrêt qui tombe au printemps 2000 et qui dit que le juge ne peut pas relever d'office, c'est-à-dire de sa propre initiative, un manquement à la loi. On reconnaît la théorie libérale : on n'a pas plus de droit que celui qu'on réclame ; pour réparer un tort, il faut que celui qui l'a subi s'en plaigne. Dans le cas d'un litige entre un consommateur et un professionnel du crédit, si le consommateur ne se plaint pas du contrat, ce n'est pas au juge de le faire à sa place. Cela se tient dans la théorie libérale, dans la réalité le consommateur ne s'en plaint jamais, parce qu'il ne connaît pas la loi, parce que ce n'est pas lui qui a porté le litige en justice, parce que neuf fois sur dix il n'a pas d'avocat. Peu importe, dit la Cour de cassation, l'office du juge, c'est l'office du juge : il n'a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas ; s'il est scandalisé, il doit le rester en son for intérieur. "
― Emmanuel Carrère , Lives Other than My Own: A Memoir
30
" Unos meses más tarde, tiene lugar otra borrachera histórica, la que reunió en secreto, en un pabellón de caza del bosque de Bieloviéjskaia, al presidente ruso Yeltsin, al presidente ucraniano Kravchuk y al presidente bielorruso Shushkiévich. Yeltsin ha abandonado Moscú sin decir a Gorbachov nada de lo que pensaba hacer, no han preparado nada, ninguno de los tres conspiradores tiene la menor idea de lo que son una federación o una confederación. Lo único que se repiten, en la sauna, soplando buenas dosis de vodka, es que sus tres repúblicas crearon la Unión en 1922 y que ello les da derecho a disolverlas. Yeltsin está tan borracho que los otros dos tienen que llevarle a la cama y, justo antes de desplomarse, llama a George Bush (padre) para darle la primicia: «George, nos hemos puesto de acuerdo con los compañeros. La Unión Soviética ya no existe.» Para que la humillación sea completa, el cometido de informar a Gorbachov recae en el más insignificante de la troika, Shushkiévich, quien asegura que Gorbachov, espantado, le habría respondido: «¿Y qué pasa conmigo?» "
― Emmanuel Carrère , Limonov
38
" Rétrospectivement, je me demande pourquoi je me suis privé d'un truc [la guerre] aussi romanesque et valorisant. Un peu par trouille : j'y serais sans doute allé si je n'avais appris, au moment où on me le proposait, que Jean Hatzfeld venait d'être amputé d'une jambe après avoir reçu là-bas une rafale de kalachnikov. Mais je ne veux pas m'accabler : c'était aussi par circonspection. Je me méfiais, je me méfie toujours des unions sacrées - même réduites au petit cercle qui m'entoure. Autant je me crois sincèrement incapable de violence gratuite, autant je m'imagine volontiers, peut-être trop, les raisons ou concours de circonstances qui auraient pu en d'autres temps me pousser vers la collaboration, le stalinisme ou la révolution culturelle. J'ai peut-être trop tendance aussi à me demander si, parmi les valeurs qui vont de soi dans mon milieu, celles que les gens de mon époque, de mon pays, de ma classe sociale, croient indépassables, éternelles et universelles, il ne s'en trouverait pas qui paraîtront un jour grotesques, scandaleuses ou tout simplement erronées. Quand des gens peu recommandables comme Limonov ou ses pareils disent que l'idéologie des droits de l'homme et de la démocratie, c'est exactement aujourd'hui l'équivalent du colonialisme catholique - les mêmes bonnes intentions, la même bonne foi, la même certitude absolue d'apporter aux sauvages le vrai, le beau, le bien -, cet argument relativiste ne m'enchante pas, mais je n'ai rien de bien solide à lui opposer. Et comme je suis facilement, sur les questions politiques, de l'avis du dernier qui a parlé, je prêtais une oreille attentive aux esprits subtils expliquant qu'Izetbegović, présenté comme un apôtre de la tolérance, était en réalité un Musulman fondamentaliste, entouré de Moudajhidines, résolu à instaurer à Sarajevo une république islamique et fortement intéressé, contrairement à Milosević, à ce que le siège et la guerre durent le plus longtemps possible. Que les Serbes, dans leur histoire, avaient assez subi le joug ottoman pour qu'on comprenne qu'ils n'aient pas envie d'y repiquer. Enfin, que sur toutes les photos publiées par la presse et montrant des victimes des Serbes, une sur deux si on regardait bien était une victime serbe. Je hochais la tête : oui, c'était plus compliqué que ça. (p. 310-311) "
― Emmanuel Carrère , Limonov
40
" Luc e Cécile si sedevano sul bordo dei materassi, che erano stati trascinati l’uno accanto all’altro perché nessuno riusciva più a dormire da solo ed erano costretti a stringersi tutti e cinque nella camera matrimoniale. Senza sapere ancora che cosa dire ai figli, li cullavano, li coccolavano, cercavano almeno di rassicurarli. Ma si rendevano conto che le loro parole non possedevano più il potere magico di prima. Ormai si era insinuato un dubbio che soltanto il tempo avrebbe potuto sradicare. Era come se avessero rubato l’infanzia, ai bambini e anche ai genitori: i piccoli non si sarebbero mai più abbandonati fra le loro braccia con la stessa miracolosa fiducia, miracolosa ma normale a quell’età, nelle famiglie normali. E proprio pensando a questo, a ciò che era andato irrimediabilmente distrutto, Luc e Cécile hanno cominciato a piangere. "
― Emmanuel Carrère , L'Avversario