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" Elle lui demanda en quoi un jour de pluie pouvait être beau : il lui énuméra les nuances de couleurs que prendraient le ciel, les arbres et les toits lorsqu'ils se promèneraient tantôt, de la puissance sauvage avec laquelle leur apparaîtrait l'océan, du parapluie qui les rapprocherait pendant la marche, de la joie qu'ils auraient à se réfugier ici pour un thé chaud, des vêtements qui sécheraient auprès du feu, de la langueur qui en découlerait, de l'opportunité qu'ils auraient de faire plusieurs fois l'amour, du temps qu'ils prendraient à se raconter leur vie sous les draps du lit, enfants protégés par une tente de la nature déchaînée... "
― Éric-Emmanuel Schmitt , The Most Beautiful Book in the World: Eight Novellas
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" Mes amis, j'écris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fierté de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir été choisi et apprécié par vous, et que notre amitié fut sans doute la plus belle œuvre de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de peau. En mourant, c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je lui rends hommage.
Mes amis, je vous ai vus mal rasés, crottés, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de péter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessé de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu à une femme de m'imposer toutes ses misères, je l'aurais quittée, insultée, répudiée. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle. Théâtre. Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment renouvelé. Une amitié, c'est une vérité qui s'impose. L'amitié est nue, l'amour fardé.
Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes. "
― Éric-Emmanuel Schmitt , La Part de l'autre
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" Мислите, които не казваш, са мисли, които тежат, вдълбават се, от тях натежаваш, вцепеняваш се, те задръстват мястото за нови мисли и някак те омърсяват. Ако не споделяш, ще се превърнеш в бунище за стари, смрадливи мисли. "
― Éric-Emmanuel Schmitt , Oscar et la dame rose
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" Не съм оптимист за бъдещето на света. Проблемът на хората е, че умеят да се разбират, само ако се сплотят срещу другите. Врагът ги обединява. Привидно може да се помисли, че спойката между членовете на една група е общият език, общата култура, общата история, споделените ценности, но всъщност нито една позитивна връзка не е достатъчна, за да спои хората, онова, което е необходимо, за да ги сближи, е общ враг. Погледнете тук, около нас. Пред ХІХ век измислят нациите и цялата нация се превръща във враг, резултат: война на нациите. След няколко войни и милиони загинали, през ХХ в. решават да приключим с нациите, резултат: създаваме Европа. Но за да съществува Съюзът, за да си даваме сметка, че съществува, някои не бива да имат правото да идват тук. Това е все същата стара глупава игра: винаги трябва да има изключени от играта. "
― Éric-Emmanuel Schmitt , Ulysse From Bagdad
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" L'homme lutte contre la peur mais, contrairement à ce qu'on répète toujours, cette peur n'est pas celle de la mort, car la peur de la mort, tout le monde ne l'éprouve pas, certains n'ayant aucune imagination, d'autres se croyant immortels, d'autres encore espérant des rencontres merveilleuses après leur trépas ; la seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensées, car la peur de n'être rien. Parce que chaque individu a éprouvé ceci, ne fût-ce qu'une seconde au cours d'une journée : se rendre compte que, par nature, ne lui appartient aucune des identités qui le définissent, qu'il aurait pu ne pas être doté de ce qui le caractérise, qu'il s'en est fallu d'un cheveu qu'il naisse ailleurs, apprenne une autre langue, reçoive une éducation religieuse différente, qu'on l'élève dans une autre culture, qu'on l'instruise dans une autre idéologie, avec d'autres parents, d'autres tuteurs, d'autres modèles. Vertige ! "
― Éric-Emmanuel Schmitt