2
" - J’aidais justement Ghezumi et Kassergh à bâter l’hypocras : du vin au miel avec de la cannelle et du gingembre mélangé à du musc, de l’ambre gris, de la cardamome, du poivre long, de la graine de paradis et de la fleur de muscade. On ne trouve cette variété qu’à Chaz.
- J’ignorais que les sujets de Sahr’Lim consommaient l’hypocras, avoua le hérisson géant.
- Ha ! Certes non, nous n’en buvons pas ! le détrompa Dazhirk d’un ton affable. Mais cela se vend bien dans l’empire de Tawag, demandez donc à votre compagne.
- Effectivement les gens de notre empire en sont friands, affirma Selamawit, et il arrive aussi que les sujets du royaume de Kambu l’achètent quand ils s’approchent de nos frontières.
- C’est pourquoi j’en transporte souvent, cela assure déjà les frais de caravane. Mais c’est très délicat au départ, confia Dazhirk avec un regard soucieux vers les lézards géants qui acceptaient docilement leur chargement.
- Comment cela ? questionna Nyssa.
- Il faut soigneusement sangler les lézards, jeune damoiselle, répondit-il après un silence pendant lequel il scruta attentivement la jeune fille. Ni trop lâche, ni trop serré avec ces reptiles dont le corps se gonfle une fois chargé. Puis, il faut équilibrer très exactement les charges, les envelopper dans une toile épaisse qui les protège de la lumière et de la chaleur, enfin ficeler correctement le tout. Cela fait, on peut alors accomplir des journées entières de voyage sans crainte de semer tout le chargement au long du parcours ou de le renverser, ce qui casserait les récipients et nous ferait perdre notre investissement. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre
3
" Le pâle sourire d’Ysaëlle fut sa seule réponse, l’accord muet taisant les élans protecteurs de son cœur. Nul à Bron ne souhaitait voir le bon peuple d’Ethyr abandonné aux cruautés du sort. Les temps à venir seraient difficiles ; la guerre, fatalité mêlée de domination et de deuils, c’était dans l’esprit du peuple d’Ethyr le manque, la terreur, les maladies, la douleur et l’agonie. Déjà, sa pensée doutait que la quête d’Axys, même couronnée de succès, puisse changer le sort qui avait frappé le royaume par la venue du Khazrug. Déjà, elle sentait poindre le regret et la peur, souhaitant que Célian restât auprès d’elle, sa seule famille. Néanmoins, Ysaëlle ne fit part de son trouble à personne, ne voulant pas décourager le groupe sur le départ par un simple pressentiment. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre
4
" L’impératrice Tarunesh inclina son visage généreux aux traits réguliers à son adresse, bien que le jeune Sorcelier ne puisse affirmer si c’était en signe de remerciement ou une simple notification de sa remarque. Le Dejazmach Elias sembla vouloir en tirer parti :
- Voyez, Ô Reine des Rois, une bête fauve et quoi d’autre par-dessus le marché ! Permettez-moi de risquer ma vie plutôt que d’exposer votre auguste personne inutilement…
Il y eut des murmures d’approbation mais Célian nota que Nyssa, qui à son grand plaisir le rejoignait, ne partageait visiblement pas l’avis d’Elias.
- Votre inquiétude n’est pas de mise, Dejazmach, s’exclama Tarunesh avec une douceur voilée, ses yeux brillants emplis d’assurance. Le jour où une bête des herbes grasses aura ma vie, je ne serai effectivement plus digne de régner ! Assez perdu de temps.
Selamawit, Mengistu, escortez notre Nigiste Negest ! commanda le Dejazmach Elias en se redressant vivement, se tournant vers les guerriers et la foule assemblés derrière lui. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre
6
" En un sens, le titre d’ancien, utilisé à son adresse par l’homme des bois, le ravit. C’est la reconnaissance implicite du peuple des bois à son égard, l’offre respectueuse de partager une existence en ces terres. Opinant du chef, Gibbie soutient :
- J’ai les paumes pleines de farine.
- Mes doigts sont percés d’échardes, agrée simplement Kardys.
Les bruits reprennent dans le moulin, chacun revenant à ce qu’il faisait. Le grand forestier poursuit :
- Alors, c’en était bien un…
- Un Pâle-de-la-Nuit, réaffirme lugubrement le meunier.
Et d’ajouter à la cantonade, avant de se replonger dans sa chope :
- Je l’ai vu et entendu comme je vous vois. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre
18
" Reprenant une goulée de cervoise, le capitaine s’essuya les lèvres avec sa manche, se pencha vers Célian en posant une main sur la table. Dans ses yeux brillaient une joie écumante, une envie presque palpable de les accompagner, alors qu’il reprenait d’un ton confident :
- Tout jeune, il m’a été dévoilé un fait essentiel : il y a toujours deux chemins. Un chemin facile qui est vite parcouru et, un autre, plus difficile. Dur et semé d’embûches mais dont la récompense est à la hauteur des efforts.
- C’est vrai, approuva le hérisson picotier-colporteur en replongeant son museau dans une purée de carottes accompagnée de feuilles de laitue.
- Choisir le plus dur chemin est éprouvant. On y gagne au moins un caractère bien trempé. Tu verras, Célian, bien des choses dans ta vie… Sache qu’une erreur n’en est pas une si on apprend de celle-ci.
- Je tiendrai compte de vos conseils, capitaine Ghyralem, assura sagement le Sorcelier.
- Alors ça ira, moussaillon.
Le repas se poursuivit et Axys conta une vieille histoire de Chaz à propos d’un lièvre féérique, facile à apercevoir mais impossible à attraper. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre
19
" La nuit, il n’y avait presque aucun signe du Grand Désert d’Harmat qui l’environnait, car tout était très noir. Aux limites de sa perception il ressentait une absence, dans l’espace qui happait les mouvements pour les renvoyer, indécis : l’Obscurité !
Elle était là, dans le Grand Désert d’Harmat, patiente et vigilante ; le jeune Sorcelier, par anticipation, frissonna. Seuls témoins tangibles, les plis de ses vêtements où le sable s’était infiltré, comme partout sur sa personne, dans sa bouche, son nez, au coin des yeux, sur ses oreilles, sa peau...
Par ces particules granulaires, ces simples grains à la rondeur naturelle, infimes et innombrables, il retrouva son affirmation au Grand Désert et repoussa plus loin la menace de l’Obscur.
Vaincu par une saine fatigue et noyé de sérénité, Célian alla se coucher sous l’œil bienveillant de son mentor. "
― Cyrille Mendes , Les Épieurs d'Ombre