21
" Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant. "
― Comte de Lautréamont , Les Chants de Maldoror
23
" Toutes les erreurs de la critique commises à mon égard, à mes débuts, furent qu'elle ne vit pas qu'il ne fallait rien définir, rien comprendre, rien limiter, rien préciser, parce que tout ce qui est sincèrement et docilement nouveau - comme le beau d'ailleurs, porte sa signification en soi-même. La désignation par un titre mis à mes dessins est quelquefois de trop, pour ainsi dire. Le titre n'y est justifié que lorsqu'il est vague, indéterminé, et visant même confusément à l'équivoque. Mes dessins inspirent et ne se définissent pas. Ils ne déterminent rien. Ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l'indéterminé. Ils sont une sorte de métaphore. "
― Odilon Redon ,
26
" O dieses ist das Tier, das es nicht giebt.Sie wußtens nicht und habens jeden Falls– sein Wandeln, seine Haltung, seinen Hals,bis in des stillen Blickes Licht – geliebt.Zwar war es nicht. Doch weil sie’s liebten, wardein reines Tier. Sie ließen immer Raum.Und in dem Raume, klar und ausgespart,erhob es leicht sein Haupt und brauchte kaumzu seinÈ questo l’animale favoloso, che non esiste. Non veduto mai, ne amaron le movenze, il collo, il passo: fino la luce dello sguardo calmo.Pure “non era”. Ma perchè lo amarono,divenne. Intatto. Gli lasciavan sempre più spazio. E in quello spazio chiaro, etereo:serbato a lui – levò, leggiero, il capo.And here we have the creature that is not.But they did not allow this , and as it happens- his gait and bearing, his arched neck,even the light in his eyes - they loved it all.Yet truly he was not. But because they loved himthe beast was seen. And always they made room.And in that space, empty and unbounded,he raised an elegant head, yet hardly foughtfor his existence. Oh ! C'est elle, la bête qui n'existe pas.Eux, ils n'en savaient rien, et de toutes façons- son allure et son port, son col et même la lumièrecalme de son regard - ils l'ont aimée.Elle, c'est vrai, n'existait point. Mais parce qu'ils l'aimaientbête pure, elle fut. Toujours ils lui laissaient l'espace.Et dans ce clair espace épargné, doucement,Elle leva la tête, ayant à peine besoin d'être. "
27
" Spleen
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
II n'a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé
//
I'm like the king of a rain-country, rich
but sterile, young but with an old wolf's itch,
one who escapes his tutor's monologues,
and kills the day in boredom with his dogs;
nothing cheers him, darts, tennis, falconry,
his people dying by the balcony;
the bawdry of the pet hermaphrodite
no longer gets him through a single night;
his bed of fleur-de-lys becomes a tomb;
even the ladies of the court, for whom
all kings are beautiful, cannot put on
shameful enough dresses for this skeleton;
the scholar who makes his gold cannot invent
washes to cleanse the poisoned element;
even in baths of blood, Rome's legacy,
our tyrants' solace in senility,
he cannot warm up his shot corpse, whose food
is syrup-green Lethean ooze, not blood.
— Robert Lowell, from Marthiel & Jackson Matthews, eds., The Flowers of Evil (NY: New Directions, 1963) "
― Charles Baudelaire , Les Fleurs du Mal