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Hervé Guibert QUOTES

8 " Depuis que j'ai doue ans, et depuis qu'elle est une terreur, la mort est une marotte. J'en ignorais l'existence jusqu'à ce qu'un camarade de classe, le petit Bonnecarère, m'envoyât au cinéma le Styx, où l'on s'asseyait à l'époque dans des cercueils, voir L'enterré vivant, un film de Roger Corman tiré d'un conte 'Edgar Allan Poe. La découverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d'un homme qui hurle d'impuissance à l'intérieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs de les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné ses études de médecine, m'hypnotisant de films d'épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d'Hector Lenoir, un conte qui racontair les affres d'un fantômr rnchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu'aux stories sélectionnées par Hitschcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d'enants, me déplaçant jusqu'à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans Psychose, la mort me semblait horriblement belle, féeriquement atroce, et puis je pris en grippe son bric-à-brac, remisai le crâne de l'étudiant de médecine, fuis les cimetières comme la peste, j'étais passé à un autre stade de l'amour de la mort, comme imprégné par elle au plus profond je n'avais plus besoin de son décorum mais d'une intimité plus grande avec elle, je continuais inlassablement de quérir son sentiment, le plus précieux et le plus haïssable d'entre tous, sa peur et sa convoitise. "

Hervé Guibert , À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie

18 " Les billes, je les aime tant et j'en ai tant gagné que je pourrais m'en emplir la bouche et tout le cordon intestinal, n'être plus qu'un bonhomme de billes : j'en ai plusieurs trousses que je décharge le soir dans une boîte à chaussures. Quand ce n'est pas la saison du scoubidou et de la cocotte-surprise, et je me rejette dans la bataille. Je suis devenu le boss des billes, c'est moi qui ai lancé la bille à cent, une trouvaile : mes rivaux ne pratiquent que la bille à dix. Chaque matin j'emporte une trousse vide, une trousse à demi pleine, et dans mes poches quelques calots qui comptent pour dix. J'ai mon emplacement réservé, juste à droite de la porte qui mène du préau à la cour, tout contre le mur il y a dans le sool gris comme un minuscule coquetier qui semble taillé tout exprès pour que j'y mette ma bille, j'ai mon créneau, je le paye en billes, et j'ai mes employés qui surveillent les joueurs. Je calcule la distance qui doit être appropriée à un tel lot : elle doit rendre la bille pratiquement invisible. Les billes pleuvent, je vérifie que ma petite bille ne bouge pas, je la fixe pour l'en empêcher. Pendant ce temps-là mes employés ramassent les billes et en remplissent une de mes deux trousses ouvertes par terre, je les surveille à peine, je les paye trop bien. Personne ne gagne. Quand mes deux trousses et toutes mes poches sont pleines à craquer, et que les poches de mes employés sont aussi pas mal remplies, je retire ma bille adorée. Je fais toujours avant de disparaître une petite distribution gratuite, pour apaiser ceux qui se sont sauvagement dépossédés ans cette mise insensée, je les fais courir en envoyant les grappes de billes à pleines mains le plus loin possible. J'aime qu'après cela, on me regarde avec reconnaissance. "

Hervé Guibert , My Parents