Home > Work > The Reign of Quantity and the Signs of the Times

The Reign of Quantity and the Signs of the Times QUOTES

15 " C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus « en vue » semble n’avoir qu’une importance très relative ; mais, comme il ne s’agit pas ici de démonter les rouages de ce qu’on pourrait appeler la « machine à gouverner », nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, étant ainsi à son image, car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause. "

René Guénon , The Reign of Quantity and the Signs of the Times

17 " L’idée de fonder en quelque sorte une science sur la répétition trahit encore une autre illusion d’ordre quantitatif, celle qui consiste à croire que la seule accumulation d’un grand nombre de faits peut servir de « preuve » à une théorie ; il est pourtant évident, pour peu qu’on y réfléchisse, que les faits d’un même genre sont toujours en multitude indéfinie, de sorte qu’on ne peut jamais les constater tous, sans compter que les mêmes faits s’accordent généralement tout aussi bien avec plusieurs théories différentes. On dira que la constatation d’un plus grand nombre de faits donne tout au moins plus de « probabilité » à la théorie ; mais c’est là reconnaître qu’on ne peut jamais arriver de cette façon à une certitude quelconque, donc que les conclusions qu’on énonce n’ont jamais rien d’« exact » ; et c’est aussi avouer le caractère tout « empirique » de la science moderne, dont les partisans, par une étrange ironie, se plaisent pourtant à taxer d’« empirisme » les connaissances des anciens alors que c’est précisément tout le contraire qui est vrai car ces connaissances, dont ils ignorent totalement la véritable nature, partaient des principes et non point des constatations expérimentales, si bien qu’on pourrait dire que la science profane est construite exactement au rebours de la science traditionnelle. Encore, si insuffisant que soit l’« empirisme » en lui-même, celui de cette science moderne est-il bien loin d’être intégral, puisqu’elle néglige ou écarte une partie considérable des données de l’expérience, toutes celles en somme qui présentent un caractère proprement qualitatif ; l’expérience sensible, pas plus que tout autre genre d’expérience, ne peut jamais porter sur la quantité pure, et plus on s’approche de celle-ci, plus on s’éloigne par là même de la réalité qu’on prétend constater et expliquer ; "

René Guénon , The Reign of Quantity and the Signs of the Times