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" L’idée de fonder en quelque sorte une science sur la répétition trahit encore une autre illusion d’ordre quantitatif, celle qui consiste à croire que la seule accumulation d’un grand nombre de faits peut servir de « preuve » à une théorie ; il est pourtant évident, pour peu qu’on y réfléchisse, que les faits d’un même genre sont toujours en multitude indéfinie, de sorte qu’on ne peut jamais les constater tous, sans compter que les mêmes faits s’accordent généralement tout aussi bien avec plusieurs théories différentes. On dira que la constatation d’un plus grand nombre de faits donne tout au moins plus de « probabilité » à la théorie ; mais c’est là reconnaître qu’on ne peut jamais arriver de cette façon à une certitude quelconque, donc que les conclusions qu’on énonce n’ont jamais rien d’« exact » ; et c’est aussi avouer le caractère tout « empirique » de la science moderne, dont les partisans, par une étrange ironie, se plaisent pourtant à taxer d’« empirisme » les connaissances des anciens alors que c’est précisément tout le contraire qui est vrai car ces connaissances, dont ils ignorent totalement la véritable nature, partaient des principes et non point des constatations expérimentales, si bien qu’on pourrait dire que la science profane est construite exactement au rebours de la science traditionnelle. Encore, si insuffisant que soit l’« empirisme » en lui-même, celui de cette science moderne est-il bien loin d’être intégral, puisqu’elle néglige ou écarte une partie considérable des données de l’expérience, toutes celles en somme qui présentent un caractère proprement qualitatif ; l’expérience sensible, pas plus que tout autre genre d’expérience, ne peut jamais porter sur la quantité pure, et plus on s’approche de celle-ci, plus on s’éloigne par là même de la réalité qu’on prétend constater et expliquer ; "

René Guénon , The Reign of Quantity and the Signs of the Times


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René Guénon quote : L’idée de fonder en quelque sorte une science sur la répétition trahit encore une autre illusion d’ordre quantitatif, celle qui consiste à croire que la seule accumulation d’un grand nombre de faits peut servir de « preuve » à une théorie ; il est pourtant évident, pour peu qu’on y réfléchisse, que les faits d’un même genre sont toujours en multitude indéfinie, de sorte qu’on ne peut jamais les constater tous, sans compter que les mêmes faits s’accordent généralement tout aussi bien avec plusieurs théories différentes. On dira que la constatation d’un plus grand nombre de faits donne tout au moins plus de « probabilité » à la théorie ; mais c’est là reconnaître qu’on ne peut jamais arriver de cette façon à une certitude quelconque, donc que les conclusions qu’on énonce n’ont jamais rien d’« exact » ; et c’est aussi avouer le caractère tout « empirique » de la science moderne, dont les partisans, par une étrange ironie, se plaisent pourtant à taxer d’« empirisme » les connaissances des anciens alors que c’est précisément tout le contraire qui est vrai car ces connaissances, dont ils ignorent totalement la véritable nature, partaient des principes et non point des constatations expérimentales, si bien qu’on pourrait dire que la science profane est construite exactement au rebours de la science traditionnelle. Encore, si insuffisant que soit l’« empirisme » en lui-même, celui de cette science moderne est-il bien loin d’être intégral, puisqu’elle néglige ou écarte une partie considérable des données de l’expérience, toutes celles en somme qui présentent un caractère proprement qualitatif ; l’expérience sensible, pas plus que tout autre genre d’expérience, ne peut jamais porter sur la quantité pure, et plus on s’approche de celle-ci, plus on s’éloigne par là même de la réalité qu’on prétend constater et expliquer ;