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" L’idée du « libre examen » fut inventée pour détruire l’autorité spirituelle, non pas en la niant purement et simplement tout d’abord, mais en lui substituant une fausse autorité, celle de la raison individuelle, ou encore que le « rationalisme » philosophique prit à tâche de remplacer l’intellectualité par ce qui n’en est que la caricature. L’idée de « valeur » nous paraît se rattacher plutôt au second cas : il y a déjà longtemps qu’on ne reconnaît plus, en fait, aucune hiérarchie réelle, c’est-à-dire fondée essentiellement sur la nature même des choses ; mais, pour une raison ou pour une autre, que nous n’entendons pas rechercher ici, il a paru opportun (non pas sans doute aux philosophes, car ils ne sont vraisemblablement en cela que les premières dupes) d’instaurer dans la mentalité publique une fausse hiérarchie, basée uniquement sur des appréciations sentimentales, donc entièrement « subjective » (et d’autant plus inoffensive, au point de vue de l’« égalitarisme » moderne, qu’elle se trouve ainsi reléguée dans les nuées de l’« idéal », autant dire parmi les chimères de l’imagination) ; on pourrait dire, en somme, que les « valeurs » représentent une contrefaçon de hiérarchie à l’usage d’un monde qui a été conduit à la négation de toute vraie hiérarchie.
[La superstition de la « valeur »] "
― René Guénon , Mélanges
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" En 1825, un Israélite d’origine portugaise, Mordecaï Manuel Noah, ancien consul des États-Unis à Tunis, acheta une île appelée Grand Island, située dans la rivière Niagara, et lança une proclamation engageant tous ses coreligionnaires à venir s’établir dans cette île, à laquelle il donna le nom d’Ararat. Le 2 septembre de la même année, on célébra en grande pompe la fondation de la nouvelle cité ; or, et c’est là ce que nous voulions signaler, les Indiens avaient été invités à envoyer des représentants à cette cérémonie, en qualité de descendants des tribus perdues d’Israël, et ils devaient aussi trouver un refuge dans le nouvel Ararat. Ce projet n’eut aucune suite, et la ville ne fut jamais bâtie ; une vingtaine d’années plus tard, Noah écrivit un livre dans lequel il préconisait le rétablissement de la nation juive en Palestine, et, bien que son nom soit aujourd’hui assez oublié, on doit le regarder comme le véritable promoteur du Sionisme.
[Chapitre V - Les origines du Mormonisme] "
― René Guénon , Mélanges