22
" - Maman, pourquoi les nuages vont dans un sens et nous dans l'autre ?
Isaya sourit, caressa la joue de sa fille du bout des doigts.
- Il y a deux réponses à ta question. Comme à toutes les questions, tu le sais bien. Laquelle veux-tu entendre ?
- Les deux.
-Laquelle en premier alors ?
La fillette plissa le nez.
- Celle du savant.
- Nous allons vers le nord parce que nous cherchons une terre où nous établir. Un endroit où construire une belle maison, élever des coureurs et cultiver des racines de niam. C'est notre rêve depuis des années et nous avons quitté Al-Far pour le vivre.
- Je n’aime pas les galettes de niam...
- Nous planterons aussi des fraises, promis. Les nuages, eux, n'ont pas le choix. Ils vont vers le sud parce que le vent les pousse et, comme ils sont très très légers, il sont incapables de lui résister.
- Et la réponse du poète ?
- Les hommes sont comme les nuages. Ils sont chassés en avant par un vent mystérieux et invisible face auquel ils sont impuissants. Ils croient maîtriser leur route et se moquent de la faiblesse des nuages, mais leur vent à eux est mille fois plus fort que celui qui souffle là-haut.
La fillette croisa les bras et parut se désintéresser de la conversation afin d'observer un vol de canards au plumage chatoyant qui se posaient sur la rivière proche. Indigo, émeraude ou vert pâle, ils se bousculaient dans une cacophonie qui la fit rire aux éclats.
Lorsque les chariots eurent dépassé les volatiles, elle se tourna vers sa mère.
- Cette fois, je préfère la réponse du savant.
-Pourquoi ? demande Isaya qui avait attendu sereinement la fin de ce qu'elle savait être une intense réflexion.
- J'aime pas qu'on me pousse en cachette. "
― Pierre Bottero , Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1)
23
" Ellana.
Le prénom voletait au-dessus d'elle.
Sans qu'elle parvienne à l’attraper.
Sans qu'il s’éloigne tout à fait.
Ellana.
Comment s'appelait-elle avant ? Pourquoi son passé lui était-il devenu étranger ? Qui était-elle désormais ?
Ellana.
Elle ferma les yeux, tentant d'oublier l'odeur rance qui flottait dans la grande salle.
Ellana.
Les enfants étaient partis. Rentrés chez eux puisque tous avaient un chez eux.
"À demain, Ellana."
Ellana.
Elle avait résisté à l'envie de courir vers le large, vers la Mère Nature qui la guidait autrefois. Ne pas se retourner, aller de l'avant. Toujours. Elle s'était arrangé un coin dans la grande salle déserte, s'était allongée.
Ellana.
Elle avait 18 ans.
Des milliers de choses à raconter. Et mille fois plus à vivre.
Elle s'endormit sans s'en apercevoir.
Ellana.
Doucement le prénom se posa sur ses paupières closes, se glissa le long de sa respiration régulière, se coula dans son cœur, son âme et chacune des cellules de son corps.
Il devint elle.
Elle devint lui.
Ellana. "
― Pierre Bottero , Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1)
28
" Les trois hommes avaient laissé leurs arcs pour empoigner des sabres et ils étaient vêtus de cuir souple.
Comme des marchombres.
Comme des marchombres, ils se déplaçaient avec précision et souplesse. Comme des marchombres, ils se séparèrent pour mieux l'encercler, tenant compte du moindre relief, du moindre détail, ne lui laissant aucune chance de s'enfuir.
Comme des marchombres.
Mais ce n'étaient pas des marchombres. Malgré la fluidité de leurs mouvements, la justesse de leurs positions, ils ne dégageaient aucune harmonie. Parfaites machines à tuer, ils étaient hideux. Une laideur que seul un marchombre pouvait percevoir.
Et Ellana était une marchombre.
"Ils possèdent les mêmes pouvoirs que nous, mais les utilisent à des fins diamétralement opposées. Ils sont impitoyables, totalement immoraux et rêvent d'assujettir les Alaviriens à leur soif de puissance. Pour cela, ils se regroupent au sein d'une guilde qui place au rang de vertus la haine, la violence et le meurtre. Une guilde qui, depuis des années, s'oppose à la nôtre..."
Jilano lui avait parlé d'eux. L'avait mise en garde contre eux.
Ellana serra les mâchoires.
Mercenaires du Chaos. "
― Pierre Bottero , Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1)