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Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1) QUOTES

10 " - Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie.
La voix était douce, l’ordre sans appel.
- Je m’appelle Ellana Caldin.
- Ton âge.
Ellana hésita une fraction de seconde. Elle ignorait son âge exact, se demandait si elle n’avait pas intérêt à se vieillir. Les apprentis qu’elle avait discernés dans l’assemblée étaient tous plus âgés qu’elle, le Conseil ne risquait-il pas de la considérer comme une enfant ? Les yeux noirs d’Ehrlime fixés sur elle la dissuadèrent de chercher à la tromper.
- J’ai quinze ans.
Des murmures étonnés s’élevèrent dans son dos.
Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire.
- Offre-nous le nom de ton maître.
- Jilano Alhuïn.
Les murmures, qui s’étaient tus, reprirent. Plus marqués, Ehrlime leva une main pour exiger un silence qu’elle obtint immédiatement.
- Jeune Ellana, je vais te poser une série de questions. A ces questions, tu devras répondre dans l’instant, sans réfléchir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours d’eau, la source est ton âme. C’est en remontant tes mots jusqu’à ton âme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prête ?
- Oui.
Une esquisse de sourire traversa le visage ridé d’Ehrlime.
- Qu’y a-t-il au sommet de la montagne ?
- Le ciel.
- Que dit le loup quand il hurle ?
- Joie, force et solitude.
- À qui s’adresse-t-il ?
- À la lune.
- Où va la rivière ?
L’anxiété d’Ellana s’était dissipée. Les questions d’Ehrlime étaient trop imprévues, se succédaient trop rapidement pour qu’elle ait d’autre solution qu’y répondre ainsi qu’on le lui avait demandé. Impossible de tricher. Cette évidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle s’immergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusqu’à son âme, puisque c’était ce qu’elle désirait.
- Remplir la mer.
- À qui la nuit fait-elle peur ?
- À ceux qui attendent le jour pour voir.
- Combien d’hommes as-tu déjà tués ?
- Deux.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Je suis moi.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Vent.
- Méritaient-ils la mort ?
- Je l’ignore.
- Es-tu ombre ou lumière ?
- Je suis moi.
- Es-tu ombre ou lumière ?
- Les deux.
- Où se trouve la voie du marchombre ?
- En moi.
Ellana s’exprimait avec aisance, chaque réponse jaillissant d’elle naturellement, comme une expiration après une inspiration. Fluidité. Le sourire sur le visage d’Ehrlime était revenu, plus marqué, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme.
- Que devient une larme qui se brise ?
- Une poussière d’étoiles.
- Que fais-tu devant une rivière que tu ne peux pas traverser ?
- Je la traverse.
- Que devient une étoile qui meurt ?
- Un rêve qui vit.
- Offre-moi un mot.
- Silence.
- Un autre.
- Harmonie.
- Un dernier.
- Fluidité.
- L’ours et l’homme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
- Marie tes trois mots.
- Marchombre. "

Pierre Bottero , Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1)

11 " Lorsque j’ai commencé à voyager en Gwendalavir aux côtés d'Ewìlan et de Salim, je savais que, au fil de mon écriture, ma route croiserait celle d'une multitude de personnages. Personnages attachants ou irritants, discrets ou hauts en couleurs, pertinents ou impertinents, sympathiques ou maléfiques... Je savais cela et je m'en réjouissais.
Rien, en revanche, ne m'avait préparé à une rencontre qui allait bouleverser ma vie.
Rien ne m'avait préparé à Ellana.
Elle est arrivée dans la Quête à sa manière, tout en finesse tonitruante, en délicatesse remarquable, en discrétion étincelante. Elle est arrivée à un moment clef, elle qui se moque des serrures, à un moment charnière, elle qui se rit des portes, au sein d’un groupe constitué, elle pourtant pétrie d’indépendance, son caractère forgé au feu de la solitude.
Elle est arrivée, s'est glissée dans la confiance d'Ewilan avec l'aisance d'un songe, a capté le regard d’Edwin et son respect, a séduit Salim, conquis maître Duom... Je l’ai regardée agir, admiratif ; sans me douter un instant de la toile que sa présence, son charisme, sa beauté tissaient autour de moi.
Aucun calcul de sa part. Ellana vit, elle ne calcule pas. Elle s'est contentée d'être et, ce faisant, elle a tranquillement troqué son statut de personnage secondaire pour celui de figure emblématique d'une double trilogie qui ne portait pourtant pas son nom. Convaincue du pouvoir de l'ombre, elle n'a pas cherché la lumière, a épaulé Ewilan dans sa quête d'identité puis dans sa recherche d'une parade au danger qui menaçait l'Empire.
Sans elle, Ewilan n'aurait pas retrouvé ses parents, sans elle, l'Empire aurait succombé à la soif de pouvoir des Valinguites, mais elle n’en a tiré aucune gloire, trop équilibrée pour ignorer que la victoire s'appuyait sur les épaules d'un groupe de compagnons soudés par une indéfectible amitié.
Lorsque j'ai posé le dernier mot du dernier tome de la saga d'Ewilan, je pensais que chacun de ses compagnons avait mérité le repos. Que chacun d'eux allait suivre son chemin, chercher son bonheur, vivre sa vie de personnage libéré par l'auteur après une éprouvante aventure littéraire.
Chacun ?
Pas Ellana.
Impossible de la quitter. Elle hante mes rêves, se promène dans mon quotidien, fluide et insaisissable, transforme ma vision des choses et ma perception des autres, crochète mes pensées intimes, escalade mes désirs secrets...
Un auteur peut-il tomber amoureux de l'un de ses personnages ?
Est-ce moi qui ai créé Ellana ou n'ai-je vraiment commencé à exister que le jour où elle est apparue ? Nos routes sont-elles liées à jamais ?
— Il y a deux réponses à ces questions, souffle le vent à mon oreille. Comme à toutes les questions. Celle du savant et celle du poète.
— Celle du savant ? Celle du poète ? Qu'est-ce que...
— Chut... Écris. "

Pierre Bottero , Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1)