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" Modesta suivit Immaculata, elle pleurait toutes les larmes de son corps. « Ne pleure pas, disait Immaculata, c’est comme ça pour toutes les filles. Tu ne croyais tout de même pas y échapper. Maintenant tu es une vraie femme. Tu auras des enfants. » Immaculata frappa à la porte du bureau de sœur Gerda, c’est Modesta, je ne l’attendais pas si tôt. Alors on devient une petite femme. Tu vas voir comme il faut souffrir pour cela : c’est Dieu qui l’a voulu ainsi à cause du péché d’Ève, la porte du diable, notre mère a toutes. Les femmes sont faites pour souffrir. Modesta, c’est un beau nom pour une femme, pour une chrétienne, et chaque mois, désormais, ce sang te fera souvenir que tu n’est qu’une femme, et si tu te crois trop belle, il sera là pour te rappeler ce que tu es : seulement une femme. » "
― Scholastique Mukasonga , Our Lady of the Nile
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" Quelle maladie contagieuse avait bien pu attraper Speciosa ? J’ai insisté. Je lui répétais : « Speciosa est mon’ amie. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas la voir ? » Elle à fini par céder en disant que, de toute façon, bientôt, il m’arriverait ce qui est arrivé à Speciosa. Je suis entrée dans la maison. Speciosa était sur son lit. On avait ajouté une couche de paille fraîche. Quand Speciosa m’a vue, elle s’est mise à pleurer. Elle s’est soulevée. J’ai vu les herbes tout imprégnées de sang. « Tu vois, dit-elle, c’est mon sang. C’est comme ça que l’on devient femme. Tous les mois, je serai enfermée. Maman m’a dit que c’est comme ça pour les femmes. Elle prend la paille que j’ai souillée. Elle la brûle, en cachette, dans la huit. Elle enterre profondément les cendres. Elle a peur qu’on sorcier vienne la voler pour ses maléfices et que nos champs se dessèchent et que moi et mes sœurs soyons stériles à cause de ce premier sang qui pourrait mettre toute la famille en péril. On ne pourra plus s’amuser comme avant. À présent, je suis une femme, avec un pagne de femme, je me sens vraiment malheureuse. » Nous n’avons plus jamais joué ensemble. "
― Scholastique Mukasonga , Our Lady of the Nile
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" Et dès que ma mère s’est aperçue qu’il y poussait comme des petits boutons, elle m’a dit de cacher ça. Elle m’a dit de ne pas montrer cela aux hommes. Même pas à mon père. Elle m’a donné une vielle chemise d’un de mes frères. Elle m’a montré comment je devais m’asseoir. Et surtout baisser les yeux quand on m’adressait la parole. « Il n’y a que les filles sans pudeur et les évoluées de Kigali qui regardent un homme en face », me répétait-elle. Cela a dû être la même chose pour toi. Mais à présent nous devrions nous réjouir de voir notre sang chaque mois. Cela veut dire aussi que nous sommes des femmes, de vraies femmes qui aurons des enfants. Tu sais bien que, pour devenir de vraies femmes, il faut avoir des enfants. Quand on te marie, c’est ce qu’on attend de toi. Tu n’es rien dans ta nouvelle famille et pour ton mari, si tu n’as pas d’enfants. Il faut que tu aies des enfants, des garçons, surtout des garçons. C’est quand tu as des fils que tu es une vraie femme, une mère, celle que l’on respecte. "
― Scholastique Mukasonga , Our Lady of the Nile
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" Every family had to grow a certain number of plants, and they had to be planted along the dirt road, in front of the house, so they’d be easier to inspect and eventually to harvest. We had to pull out all our own plantings, and even worse, uproot a good part of the banana grove, which was just beginning to bear fruit. We had to go all the way to Rwakibirizi, more than ten kilometers from Gitwe, to pick up the plants. Coffee plants take a great deal of care, and they left us little time to tend our field. School was no longer the children’s priority: our first job was to change the mulch around the coffee plants. "
― Scholastique Mukasonga , Cockroaches