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" Le garçon qui m’avait souri, et qui, une seconde plus tôt, n’était qu’une fonction, un outil, une sorte d’insecte monstrueux, voici qu’il se révélait un peu gauche, presque timide, d’une timidité merveilleuse. Non qu’il fût moins brutal qu’un autre, ce terroriste ! mais l’avènement de l’homme en lui éclairait si bien sa part vulnérable ! On prend de grands airs, nous les hommes, mais on connaît, dans le secret du coeur, l’hésitation, le doute, le chagrin… "
― Antoine de Saint-Exupéry , Lettre à un otage
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" Cette qualité de la joie n’est-elle pas le fruit le plus précieux de la civilisation qui est nôtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l’engrais. La prospérité et le confort ne sauraient suffire à nous combler. Pour nous qui fûmes élevés dans le culte du respect de l’homme, pèsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fêtes merveilleuses…
Respect de l’homme ! Respect de l’homme !… Là est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même ; il refuse les contradictions créatrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitière. L’ordre pour l’ordre châtre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-même. La vie crée l’ordre, mais l’ordre ne crée pas la vie.
Il nous semble, à nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevée, que la vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions à surmonter sont le terreau même de notre croissance. Nous reconnaissons comme nôtres ceux mêmes qui diffèrent de nous. Mais quelle étrange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passé. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous.
Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en péril. Les craquements du monde moderne nous ont engagés dans les ténèbres. Les problèmes sont incohérents, les solutions contradictoires. La vérité d’hier est morte, celle de demain est encore à bâtir. Aucune synthèse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne détient qu’une parcelle de la vérité. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel à la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les méthodes, nous risquons de ne plus reconnaître que nous nous hâtons vers le même but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, à m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’être au service d’une évidence spirituelle. Nous avons goûté, aux heures de miracle, une certaine qualité des relations humaines : là est pour nous la vérité.
Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stérile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haïrions-nous à l’intérieur d’un même camp ? Aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les démarches de sa raison. Les démarches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la même étoile.
Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !… Si le respect de l’homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, désir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu. "
― Antoine de Saint-Exupéry , Lettre à un otage
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" Respect for humanity! Respect for humanity! If such respect is rooted in the human heart, humanity will eventually establish a social, political, or economic system that reflects it. A civilization is before all else rooted in its substance. At first this was a blind urge for warmth. Then by trial and error man found the way to the fire.
That is probably why, my friend, I have such need of your friendship. I need a companion who - beyond the struggles of reason - respects in me the pilgrim on his way to that fire. I sometimes need to feel the promised warmth ahead of time and to rest somewhere beyond myself in that meeting place that will be ours. [...] Beyond the clumsiness of my words, beyond my defective reasoning, you are ready to see me as a human being. You are ready to honor in me the representative of beliefs, customs, loves. If I differ from you, far from wronging you, I enrich you. You question me as you would a traveler. "
― Antoine de Saint-Exupéry , Lettre à un otage
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" Ce n’est point la pauvreté qui valait aux émigrants ce léger dédain du personnel. Ce n’est point d’argent qu’ils manquaient, mais de densité. Ils n’étaient plus l’homme de telle maison, de tel ami, de telle responsabilité. Ils jouaient le rôle, mais ce n’était plus vrai. Personne n’avait besoin d’eux, personne ne s’apprêtait à faire appel à eux. Quelle merveille que ce télégramme qui vous bouscule, vous fait lever au milieu de la nuit, vous pousse vers la gare : « Accours ! J’ai besoin de toi ! » Nous nous découvrons vite des amis qui nous aident. Nous méritons lentement ceux qui exigent d’être aidés. Certes, mes revenants, personne ne les haïssait, personne ne les jalousait, personne ne les importunait. Mais personne ne les aimait du seul amour qui comptât. Je me disais : « ils seront pris, dès l’arrivée, dans les cocktails de bienvenue, les dîners de consolation. » Mais qui ébranlera leur porte en exigeant d’être reçu : « Ouvre ! C’est moi ! » Il faut allaiter longtemps un enfant avant qu’il exige. Il faut longtemps cultiver un ami avant qu’il réclame son dû d’amitié. Il faut s’être ruiné durant des générations à réparer le vieux château qui croule, pour apprendre à l’aimer. "
― Antoine de Saint-Exupéry , Lettre à un otage