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" Du moins, rien ne nous contraint plus à appeler sauveurs les tyrans et à justifier le meurtre de l'enfant par le salut de l'homme. Nous refuserons de croire ainsi que la justice puisse exiger, même provisoirement, la suppression de la liberté. À les en croire, les tyrannies sont toujours provisoires. On nous explique qu'il y a une grande différence entre la tyrannie réactionnaire et la tyrannie progressiste. Il y aurait ainsi des camps de concentration qui vont dans le sens de l'histoire et un système de travail force qui suppose l'espérance. À supposer que cela fût vrai, on pourrait au moins s'interroger sur la durée de cet espoir. Si la tyrannie, même progressiste, dure plus d'une génération, elle signifie pour des millions d'hommes une vie d'esclave, et rien de plus. Quand le provisoire couvre le temps de la vie d'un homme, il est pour cet homme le définitif. "
― Albert Camus ,
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" En 1933, a commencé une époque qu'un des plus grands parmi nous a justement appelée le temps du mépris. Et pendant dix ans, à chaque nouvelle que des êtres nus et désarmés avaient été patiemment mutilés par des hommes dont le visage était fait comme le nôtre, la tête nous tournait et nous demandions comment cela était possible. (...) Et ceux qui ont fait cela savaient céder leur place dans le métro, tout comme Himmler, qui a fait de la torture une science et un métier, rentrait pourtant chez lui par la porte de derrière, la nuit, pour ne pas réveiller son canari favori. (...)
Qui oserait parler ici de pardon ? Puisque l'esprit a enfin compris qu'il ne pouvait vaincre l'épée que par l'épée, puisqu'il a pris les armes et atteint la victoire, qui voudrait lui demander d'oublier ? Ce n'est pas la haine qui parlera demain, mais la justice elle-même, fondée sur la mémoire. Et c'est de la justice la plus éternelle et la plus sacrée, que de pardonner peut-être pour tous ceux d'entre nous qui sont morts sans avoir parlé, avec la paix supérieure d'un cœur qui n'a jamais trahi, mais de frapper terriblement pour les plus courageux d'entre nous dont on a fait des lâches en dégradant leur âme, et qui sont morte désespérée, emportant dans un cœur pour toujours ravage leur haine des autres et leur mépris d'eux-mêmes. "
― Albert Camus ,