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" Fallait-il, se demanda-t-elle [...] voyager dans les pays qu’on avait aimés en lisant? Ces pays existaient-ils, d’ailleurs? L’Angleterre de Virginia Woolf avait disparu aussi sûrement que l’Orient de Mille et Une Nuits ou la Norvège de Sigrid Undset. À Venise, l’hôtel où séjournaient les personnages du roman de Thomas Mann ne subsistait plus qu’à travers les somptueuses images de Luchino Visconti. Et la Russie... De la tröika des contes, qui glissait inlassablement dans la steppe, on voyait des loups, des cabanes montées sur des pattes de poule, d’immenses étendues enneigées, des bois noirs pleins de périls, des palais féeriques. On dansait devant le tsar sous les lustres de cristal, on buvait le thé dans des bols d’or, on se coiffait de toques de fourrure (quelle horreur!) faits avec la peau d’un renard argenté.
Que retrouverait-elle de tout cela, si elle prenait l’avion pour visiter l’une de ces parties du monde - contrées confuses, aux frontières mouvantes, où elle avait couvert, en un éclair, des distances presque inconcevables, où elle avait lassé les siècles glisser sur elle, virevolté parmi les constellations, parlé aux animaux et aux dieux, pris le thé avec un lapin, goûté la ciguë et l’ambroisie? "

Christine Féret-Fleury , The Girl Who Reads on the Métro


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Christine Féret-Fleury quote : Fallait-il, se demanda-t-elle [...] voyager dans les pays qu’on avait aimés en lisant? Ces pays existaient-ils, d’ailleurs? L’Angleterre de Virginia Woolf avait disparu aussi sûrement que l’Orient de Mille et Une Nuits ou la Norvège de Sigrid Undset. À Venise, l’hôtel où séjournaient les personnages du roman de Thomas Mann ne subsistait plus qu’à travers les somptueuses images de Luchino Visconti. Et la Russie... De la tröika des contes, qui glissait inlassablement dans la steppe, on voyait des loups, des cabanes montées sur des pattes de poule, d’immenses étendues enneigées, des bois noirs pleins de périls, des palais féeriques. On dansait devant le tsar sous les lustres de cristal, on buvait le thé dans des bols d’or, on se coiffait de toques de fourrure (quelle horreur!) faits avec la peau d’un renard argenté. <br /> Que retrouverait-elle de tout cela, si elle prenait l’avion pour visiter l’une de ces parties du monde - contrées confuses, aux frontières mouvantes, où elle avait couvert, en un éclair, des distances presque inconcevables, où elle avait lassé les siècles glisser sur elle, virevolté parmi les constellations, parlé aux animaux et aux dieux, pris le thé avec un lapin, goûté la ciguë et l’ambroisie?