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" Lorsque, parvenu à l'apogée du rut avec son peuple quel qu'il fût et quel qu'il soit, l'intellectuel décide de retrouver le chemin de la quotidienneté, il ne ramène de son aventure que des formules terriblement infécondes. Il privilégie les coutumes, les traditions, les modes d'apparaître et sa quête forcée, douloureuse ne fait qu'évoquer une banale recherche d'exotisme. C'est la période où les intellectuels chantent les moindres déterminations du panorama indigène. Le boubou se trouve sacralisé, les chaussures parisiennes ou italiennes délaissées au profit des babouches. Le langage du dominateur écorche soudain les lèvres. Retrouver son peuple c'est quelquefois dans cette période vouloir être nègre, non un nègre pas comme les autres mais un véritable nègre, un chien de nègre, tel que le veut le Blanc. Retrouver son peuple c'est se faire bicot, se faire le plus indigène possible, le plus méconnaissable, c'est se couper les ailes qu'on avait laissé pousser. "
― Frantz Fanon , Ecrits contre le colonialisme (Coffret en 2 volumes : Les damnés de la terre ; Pour la révolution africaine)
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" Refusant de multiplier les éléments, nous risquons de ne pas délimiter le foyer ; or, il est important de dire au Noir que l’attitude de rupture n’a jamais sauvé personne ; et s’il est vrai que je dois me libérer de celui qui m’étouffe parce que véritablement je ne puis pas respirer, il demeure entendu que sur la base physiologique : difficulté mécanique de respiration, il devient malsain de greffer un élément psychologique : impossibilité d’expansion. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement ceci : lorsqu’un Antillais licencié en philosophie déclare ne pas présenter l’agrégation, alléguant sa couleur, je dis que la philosophie n’a jamais sauvé personne. Quand un autre s’acharne à me prouver que les Noirs sont aussi intelligents que les Blancs, je dis : l’intelligence non plus n’a jamais sauvé personne, et cela est vrai, car si c’est au nom de l’intelligence et de la philosophie que l’on proclame l’égalité des hommes, c’est en leur nom aussi qu’on décide leur extermination. "
― Frantz Fanon , Black Skin, White Masks