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Le Voyage d'hiver QUOTES

9 " Aphex Twin acheva une chanson et commença la suivante : Zigomatic 17, dont les sonorités court-circuitées esquissaient un électroencéphalogramme en forme de baobab phonique, et soudain je sus qui était Aliénor Malèze, et je prononçai ces paroles ailées, Aliénor, tu es un baobab, c’est pour ça que tu ne bouges pas, les premiers hommes d’Afrique ont essayé tous les arbres et chacun avait son utilité : tel brûlait bien, tel faisait de bons arcs et de bons outils, tel gagnait à être mâchouillé pendant des heures, tel poussait si vite qu’on déguisait un paysage en un an, tel, si on le râpait, parfumait la viande, tel lavait les cheveux, tel rendait sa virilité à celui qui l’avait perdue à la chasse, il n’y avait que le baobab qui décidément ne servait à rien, ce n’était pas faute d’avoir expérimenté son bois, que fait-on d’un arbre bon à rien, que fait-on par ailleurs de ce qui n’est bon à rien, arbre ou homme, on décrète qu’il est sacré, voilà son utilité, il sert à être sacré, pas touche au baobab, il est sacré, on a besoin de sacré, tu sais c’est ce truc auquel on ne comprend rien mais qui aide on ne sait pas à quoi, ça aide, si ton cœur est oppressé, va t’asseoir à l’ombre du baobab, prends exemple sur lui, sois grand et inutile que celui qui ne sert à rien, voilà, tu as compris, le grand est inutile, on a besoin de grandeur parce que c’est absolu, c’est une question de taille et non de structure, si le baobab rapetisse prodigieusement, il devient un brocoli, le brocoli peut être mangé, le baobab est le brocoli cosmique dont parlait Salvador Dalí, Aliénor, elle, c’est la version humaine du phénomène, ses dimensions sont à mi-chemin entre le baobab et le brocoli, c’est pour ça que ses écrits fascinent. "

Amélie Nothomb , Le Voyage d'hiver