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" Elle saisit une prise de la main gauche, ravala un gémissement quand la chaîne qui liait ses poignets lui heurta le visage, tira sur ses bras. Jilano ne se rendait-il pas compte que sa leçon était stupide ? Ne se rendait-il pas compte qu’elle n’apprenait strictement rien ? Ne savait-il pas qu’apprendre est impossible quand on subit ? Elle se sentait rabaissée, humiliée. Avec ces chaînes, Jilano lui volait sa condition de marchombre. Elle se figea soudain. Les doigts verrouillés derrière une arête de glace, les pieds reposant sur de minuscules appuis, le corps en équilibre précaire au-dessus d’un vide vertigineux. Elle n’en avait cure. Avec ces chaînes, Jilano lui volait sa condition de marchombre. Vraiment ? Sa condition de marchombre était donc tributaire d’une simple chaîne d’acier ? Quelques maillons et elle perdait son identité ? Un vent nouveau se leva en elle. Un nuage commença à se désagréger dans son esprit. Lorsque, blessée, elle reposait sur son lit, était-elle moins marchombre que lorsqu’elle gravissait une tour escarpée, en pleine possession de ses moyens ? Ehrlime et son visage fripé ou Andorel et ses mouvements ralentis par l’âge étaient-ils moins marchombres qu’elle qui avait dix-huit ans ? Le corps était-il à ce point important qu’il définissait à lui seul la réalité du mot marchombre ? Elle raffermit sa prise de peur que la tempête qui soufflait désormais en elle ne jaillisse à l’extérieur et ne la fasse basculer dans le vide. Elle était marchombre. Libre ou enchaînée. Valide ou blessée. Jeune ou vieille. Elle était marchombre. Mais le corps ? La tempête rugit dans son esprit. Son corps était une partie d’elle. Elle lui devait le respect, c’était par lui qu’elle appréhendait le monde mais il n’était qu’une partie d’elle. Sa condition de marchombre prenait naissance bien au-delà des limites de son corps. Elle le transcendait, et si son corps était enchaîné, blessé, affaibli, brisé même, elle n’en demeurait pas moins libre. Elle était marchombre. La tempête cessa soudain de souffler. "

Pierre Bottero , Le Pacte des MarchOmbres (Intégrale)


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Pierre Bottero quote : Elle saisit une prise de la main gauche, ravala un gémissement quand la chaîne qui liait ses poignets lui heurta le visage, tira sur ses bras. Jilano ne se rendait-il pas compte que sa leçon était stupide ? Ne se rendait-il pas compte qu’elle n’apprenait strictement rien ? Ne savait-il pas qu’apprendre est impossible quand on subit ? Elle se sentait rabaissée, humiliée. Avec ces chaînes, Jilano lui volait sa condition de marchombre. Elle se figea soudain. Les doigts verrouillés derrière une arête de glace, les pieds reposant sur de minuscules appuis, le corps en équilibre précaire au-dessus d’un vide vertigineux. Elle n’en avait cure. Avec ces chaînes, Jilano lui volait sa condition de marchombre. Vraiment ? Sa condition de marchombre était donc tributaire d’une simple chaîne d’acier ? Quelques maillons et elle perdait son identité ? Un vent nouveau se leva en elle. Un nuage commença à se désagréger dans son esprit. Lorsque, blessée, elle reposait sur son lit, était-elle moins marchombre que lorsqu’elle gravissait une tour escarpée, en pleine possession de ses moyens ? Ehrlime et son visage fripé ou Andorel et ses mouvements ralentis par l’âge étaient-ils moins marchombres qu’elle qui avait dix-huit ans ? Le corps était-il à ce point important qu’il définissait à lui seul la réalité du mot marchombre ? Elle raffermit sa prise de peur que la tempête qui soufflait désormais en elle ne jaillisse à l’extérieur et ne la fasse basculer dans le vide. Elle était marchombre. Libre ou enchaînée. Valide ou blessée. Jeune ou vieille. Elle était marchombre. Mais le corps ? La tempête rugit dans son esprit. Son corps était une partie d’elle. Elle lui devait le respect, c’était par lui qu’elle appréhendait le monde mais il n’était qu’une partie d’elle. Sa condition de marchombre prenait naissance bien au-delà des limites de son corps. Elle le transcendait, et si son corps était enchaîné, blessé, affaibli, brisé même, elle n’en demeurait pas moins libre. Elle était marchombre. La tempête cessa soudain de souffler.