" Vous savez sans doute qu'on a souvent voulu rattacher, d'une façon ou d'une autre, le christianisme primitif aux écoles esséniennes ; mais le malheur est que, sur les esséniens eux-mêmes, on ne sait que bien peu de choses en réalité. En tout cas, il est au moins certain que, tant que le christianisme est demeuré dans le judaïsme, il ne pouvait pas comporter une loi exotérique distincte ; dans ces conditions, on ne voit pas ce qu'il aurait pu être d'autre qu'une voie initiatique. Peut-être faut-il admettre que l'"extériorisation" a commencé dès que le christianisme s'est répandu hors du milieu judaïque, donc très tôt puisque cela pourrait être ainsi en rapport surtout avec l'activité de saint Paul lui-même ; cela expliquerait qu'on trouve déjà dans les textes très anciens, des choses qui ne semblent guère compatibles avec un caractère initiatique et ésotérique (le baptême des enfants comme le signalait Clavelle). Il est vrai qu'il resterait encore de toute façon certains passages embarrassant dans les Évangiles eux-mêmes, comme ceux dont vous parlez ; mais comme il y en a aussi d'autres qui vont dans le sens de l'ésotérisme, il y a là une apparence de contradiction est loin d'éclaircir les choses ; il est possible que certaines paroles, quand elles ont été transcrites en grec, aient été rendue inexactement ou qu'elles n'aient pas eu la signification qu'on leur a attribué par la suite (je pense par exemple aux discussions auxquelles a donné lieu l'expression "toutes les nations" qui paraît parfois désigner l'ensemble des pays compris dans l'Empire romain, et parfois aussi seulement les Juifs qui étaient établis alors dans différents pays hors de la Palestine). Quant à savoir dans quelle mesure les rites ont été modifiés, cela parait à peu près impossible, puisque personne ne sait au juste ce qu'étaient les rites primitifs, même dans le cas du baptême [...]
Lettre du 9-1-1950
"Lumière d'Orient" - Jean Tourniac - p.106 "

― René Guénon