Home > Author > René Guénon >

" D’autre part, nous avons eu aussi l’occasion de faire remarquer la faiblesse, pour ne pas dire plus, de l’attitude qu’on est convenu d’appeler « apologétique », et qui consiste à vouloir défendre une tradition contre des attaques telles que celles de la science moderne en discutant les arguments de celle-ci sur son propre terrain, ce qui ne va presque jamais sans entraîner des concessions plus ou moins fâcheuses, et ce qui implique en tout cas une méconnaissance du caractère transcendant de la doctrine traditionnelle. Cette attitude est habituellement celle d’exotéristes, et l’on peut penser que, bien souvent, ils sont surtout poussés par la crainte qu’un plus ou moins grand nombre d’adhérents de leur tradition ne s’en laissent détourner par les objections scientifiques ou soi-disant telles qui sont formulées contre elle ; mais, outre que cette considération « quantitative » est elle-même d’un ordre assez profane, ces objections méritent d’autant moins qu’on y attache une telle importance que la science dont elles s’inspirent change continuellement, ce qui devrait suffire à prouver leur peu de solidité. Quand on voit, par exemple, des théologiens se préoccuper d’« accorder la Bible avec la science », il n’est que trop facile de constater combien un tel travail est illusoire, puisqu’il est constamment à refaire à mesure que les théories scientifiques se modifient, sans compter qu’il a toujours l’inconvénient de paraître solidariser la tradition avec l’état présent de la science profane, c’est-à-dire avec des théories qui ne seront peut-être plus admises par personne au bout de quelques années, si même elles ne sont pas déjà abandonnées par les savants, car cela aussi peut arriver, les objections qu’on s’attache à combattre ainsi étant plutôt ordinairement le fait des vulgarisateurs que celui des savants eux-mêmes. Au lieu d’abaisser maladroitement les Écritures sacrées à un pareil niveau, ces théologiens feraient assurément beaucoup mieux de chercher à en approfondir autant que possible le véritable sens, et de l’exposer purement et simplement pour le bénéfice de ceux qui sont capables de le comprendre, et qui, s’ils le comprenaient effectivement, ne seraient plus tentés par là même de se laisser influencer par les hypothèses de la Science profane, non plus d’ailleurs que par la « critique » dissolvante d’une exégèse moderniste et rationaliste, c’est-à-dire essentiellement anti-traditionnelle, dont les prétendus résultats n’ont pas davantage à être pris en considération par ceux qui ont conscience de ce qu’est réellement la tradition.
[La science profane devant les doctrines traditionnelles] "

René Guénon


Image for Quotes

René Guénon quote : D’autre part, nous avons eu aussi l’occasion de faire remarquer la faiblesse, pour ne pas dire plus, de l’attitude qu’on est convenu d’appeler « apologétique », et qui consiste à vouloir défendre une tradition contre des attaques telles que celles de la science moderne en discutant les arguments de celle-ci sur son propre terrain, ce qui ne va presque jamais sans entraîner des concessions plus ou moins fâcheuses, et ce qui implique en tout cas une méconnaissance du caractère transcendant de la doctrine traditionnelle. Cette attitude est habituellement celle d’exotéristes, et l’on peut penser que, bien souvent, ils sont surtout poussés par la crainte qu’un plus ou moins grand nombre d’adhérents de leur tradition ne s’en laissent détourner par les objections scientifiques ou soi-disant telles qui sont formulées contre elle ; mais, outre que cette considération « quantitative » est elle-même d’un ordre assez profane, ces objections méritent d’autant moins qu’on y attache une telle importance que la science dont elles s’inspirent change continuellement, ce qui devrait suffire à prouver leur peu de solidité. Quand on voit, par exemple, des théologiens se préoccuper d’« accorder la Bible avec la science », il n’est que trop facile de constater combien un tel travail est illusoire, puisqu’il est constamment à refaire à mesure que les théories scientifiques se modifient, sans compter qu’il a toujours l’inconvénient de paraître solidariser la tradition avec l’état présent de la science profane, c’est-à-dire avec des théories qui ne seront peut-être plus admises par personne au bout de quelques années, si même elles ne sont pas déjà abandonnées par les savants, car cela aussi peut arriver, les objections qu’on s’attache à combattre ainsi étant plutôt ordinairement le fait des vulgarisateurs que celui des savants eux-mêmes. Au lieu d’abaisser maladroitement les Écritures sacrées à un pareil niveau, ces théologiens feraient assurément beaucoup mieux de chercher à en approfondir autant que possible le véritable sens, et de l’exposer purement et simplement pour le bénéfice de ceux qui sont capables de le comprendre, et qui, s’ils le comprenaient effectivement, ne seraient plus tentés par là même de se laisser influencer par les hypothèses de la Science profane, non plus d’ailleurs que par la « critique » dissolvante d’une exégèse moderniste et rationaliste, c’est-à-dire essentiellement anti-traditionnelle, dont les prétendus résultats n’ont pas davantage à être pris en considération par ceux qui ont conscience de ce qu’est réellement la tradition. <br />[La science profane devant les doctrines traditionnelles]