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" La mort entraîne peu de chose dans le néant, très peu. Me suis patiemment appliqué à repêcher des souvenirs. Fautes commises, aventures secrètes, petites hontes etc. Pour chacune, je me demandais : « Et ceci, est-ce que ça disparaîtra entièrement avec moi ? Est-ce qu’il n’en reste vraiment aucune trace, ailleurs qu’en moi ? » Me suis acharné, près d’une heure durant, à retrouver dans mon passé quelque chose, un acte un peu particulier, dont je sois sûr qu’il ne subsiste rien, rien, nulle part ailleurs que dans ma conscience ; pas le moindre prolongement, pas la moindre conséquence matérielle ou morale, aucun germe de pensée qui puisse, après moi, lever dans la mémoire d’un autre être. Mais, pour chacun de mes souvenirs, je finissais par trouver quelque témoin possible, quelqu’un qui avait su la chose ou qui avait été à même de la deviner, - quelqu’un qui vivait peut-être encore, et qui, moi disparu, pourrait un jour, au hasard d’une réminiscence... Je me tournais et me retournais sur mes oreillers, torturé par un inexplicable sentiment de regret, de mortification, à l’idée que si je ne parvenais pas à trouver quelque chose, ma mort serait un dérision, je n’aurais même pas cette consolation pour l’orgueil d’emporter dans le néant quelque chose m’appartenant en exclusivité. "

Roger Martin du Gard , Les Thibault III: l'été 1914


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Roger Martin du Gard quote : La mort entraîne peu de chose dans le néant, très peu. Me suis patiemment appliqué à repêcher des souvenirs. Fautes commises, aventures secrètes, petites hontes etc. Pour chacune, je me demandais : « Et ceci, est-ce que ça disparaîtra entièrement avec moi ? Est-ce qu’il n’en reste vraiment aucune trace, ailleurs qu’en moi ? » Me suis acharné, près d’une heure durant, à retrouver dans mon passé quelque chose, un acte un peu particulier, dont je sois sûr qu’il ne subsiste rien, rien, nulle part ailleurs que dans ma conscience ; pas le moindre prolongement, pas la moindre conséquence matérielle ou morale, aucun germe de pensée qui puisse, après moi, lever dans la mémoire d’un autre être. Mais, pour chacun de mes souvenirs, je finissais par trouver quelque témoin possible, quelqu’un qui avait su la chose ou qui avait été à même de la deviner, - quelqu’un qui vivait peut-être encore, et qui, moi disparu, pourrait un jour, au hasard d’une réminiscence... Je me tournais et me retournais sur mes oreillers, torturé par un inexplicable sentiment de regret, de mortification, à l’idée que si je ne parvenais pas à trouver quelque chose, ma mort serait un dérision, je n’aurais même pas cette consolation pour l’orgueil d’emporter dans le néant quelque chose m’appartenant en exclusivité.