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" Lors du recensement de 1931, il avait été estimé que les outcasts, tribes et
autresdepressed classes, comme on appelait alors les intouchables et autres
catégories discriminées dans la langue administrative britannique, et qui deviendront
par la suite les scheduled castes et les scheduled tribes, regroupaient quelque
50 millions de personnes, soit environ 21 % des 239 millions d’hindous. À la fin des
années 1920, des mouvements indépendantistes avaient lancé dans plusieurs
provinces des opérations de boycott du recensement, qui recommandaient de ne pas
indiquer de jati ni de varna aux agents recenseurs. Petit à petit, on passa d’un
système où les recensements visaient à identifier les élites et les hautes castes,
parfois pour leur garantir explicitement des droits et des privilèges, à la fin du
XIXe siècle et au début du XXe siècle, à une logique visant au contraire à identifier les
plus basses castes, dans le but de corriger les discriminations passées. En 1935,
alors que des systèmes d’accès préférentiel à certains emplois publics étaient
expérimentés par le gouvernement colonial pour les scheduled castes, on constata
que certaines jatis qui s’étaient mobilisées dans les années 1890 pour être reconnues
comme kshatriya et obtenir l’accès à certains temples et lieux publics, se mobilisaient à présent pour être considérées comme faisant partie des plus basses castes. Cela démontre de nouveau la plasticité des identités individuelles et leur adaptabilité aux incitations contradictoires créées par le pouvoir colonial. "

Thomas Piketty , Capital and Ideology


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Thomas Piketty quote : Lors du recensement de 1931, il avait été estimé que les outcasts, tribes et<br />autresdepressed classes, comme on appelait alors les intouchables et autres<br />catégories discriminées dans la langue administrative britannique, et qui deviendront<br />par la suite les scheduled castes et les scheduled tribes, regroupaient quelque<br />50 millions de personnes, soit environ 21 % des 239 millions d’hindous. À la fin des<br />années 1920, des mouvements indépendantistes avaient lancé dans plusieurs<br />provinces des opérations de boycott du recensement, qui recommandaient de ne pas<br />indiquer de jati ni de varna aux agents recenseurs. Petit à petit, on passa d’un<br />système où les recensements visaient à identifier les élites et les hautes castes,<br />parfois pour leur garantir explicitement des droits et des privilèges, à la fin du<br />XIXe siècle et au début du XXe siècle, à une logique visant au contraire à identifier les<br />plus basses castes, dans le but de corriger les discriminations passées. En 1935,<br />alors que des systèmes d’accès préférentiel à certains emplois publics étaient<br />expérimentés par le gouvernement colonial pour les scheduled castes, on constata<br />que certaines jatis qui s’étaient mobilisées dans les années 1890 pour être reconnues<br />comme kshatriya et obtenir l’accès à certains temples et lieux publics, se mobilisaient à présent pour être considérées comme faisant partie des plus basses castes. Cela démontre de nouveau la plasticité des identités individuelles et leur adaptabilité aux incitations contradictoires créées par le pouvoir colonial.